Dans la cité allemande de Worms, lieu phare du protestantisme, se trouve une imposante statue de Luther ; à ses pieds se tiennent quelques-uns de ceux que la tradition présente comme ses précurseurs : ainsi de Jean Huss, Jérôme Savonarole, Pierre Valdo.
Les connaissances font défaut pour Pierre Valdo, puisque son nom et même son existence sont régulièrement remis en cause. Pourtant les textes concordent : ainsi il est probable qu’un riche marchand vécut à Lyon au XIIe siècle, connu comme Pierre Valdo ; sans doute appelé dans le dialecte du pays Valdes ou Vaudès. Il renonça à tous ses biens et décida de vivre la foi chrétienne comme les apôtres avaient vécu avec Jésus.
Pourquoi et comment ce Pierre Valdo, membre du riche patriciat lyonnais décida-t-il de changer de vie ?
Plusieurs versions existent : selon l’une d’elle, Valdo fut saisi par l’histoire de Saint Alexis chantée par un troubadour. Selon la légende dorée, Alexis, fils d’un riche et noble préfet romain, décida le soir de ses noces d’abandonner sa vie facile, s’enfuit pour vivre parmi les pauvres. Il revint finir sa vie en mendiant devant sa propre maison.
L’autre version est moins spectaculaire mais plus vraisemblable. Valdo s’interrogeait sur son salut éternel. Ecoutant l’Évangile, il aurait été très impressionné par le récit du jeune homme riche à qui Jésus répond : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor aux cieux ; puis viens, suis-moi ». Mais le commentaire de Jésus, après le départ du jeune homme riche, aurait encore plus frappé Pierre Valdo, (le marchand lyonnais) : « En vérité je vous le dis, il sera difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des cieux ».
Dès lors, suivant ce conseil évangélique, Valdo changea radicalement de vie ; il entraîna avec lui un groupe de gens qu’il avait convaincus, et commença, une quarantaine d’années avant François d’Assise, l’aventure des « Pauvres de Lyon ». On y retrouve, dès le début, trois caractéristiques : pauvreté volontaire, prédication et insistance sur l’importance de l’évangile (en partie traduit en langue vernaculaire).
Une attente existait. Aussi, dès les premières années (1170-1175), il eut des disciples, hommes et femmes. Menant une vie de prédication, pauvre et errante, Évangile à la main, ces disciples invitaient la population à faire pénitence.
Ils n’étaient pas les premiers, ni les seuls en ce temps-là à prêcher ainsi. En ce XIIe siècle, des groupes de prédicateurs (Pétrobussiens, Arnaldistes ou Humiliés) s’étaient multipliés, avec le consentement plus ou moins avoué de l’Église, appelant à la pauvreté évangélique sur les routes d’Europe.
L’Église hésitait à regarder de près les doctrines colportées et à vérifier leur orthodoxie. En effet, un péril bien plus grave s’amplifiait dans le Midi de la France : l’hérésie cathare. C’est à cause de ce danger cathare que l’Église temporisa avec Valdo et son groupe de prédicants.
D’ailleurs l’opposition entre ces deux familles de prêcheurs était telle, que l’Église romaine n’hésita pas à s’en servir. Ainsi, dans les années 1176-1184, des Pauvres de Lyon sont allés prêcher dans le Sud-Ouest et participer à des controverses contre les Cathares.
Valdo et ses disciples étaient donc à la fois bien vus par le peuple, et somme toute assez appréciés par la hiérarchie ecclésiastique.
Lors de notre prochaine émission, le dimanche 2 novembre, à 8 h 25, nous apprendrons cependant que, dès le danger cathare écarté, l’Eglise catholique a rejeté Pierre Valdo et ses prédicants.
(Emission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Etranger, diffusée sur France-Culture à 8h25, le dimanche 5 octobre 2008, présentée par Alix Guiraud d’après un texte de Pierre-Valdo Debu.)
par Pierre-Valdo Debû
Lettre N°42
Pierre Valdo : la rupture avec Rome
Le mois dernier, nous avons évoqué la personnalité de Pierre Valdo et le mouvement évangélique qu’il avait lancé avec les « Pauvres de Lyon », mouvement qui avait d’abord reçu l’approbation de l’Eglise.
L’influence de Valdo s’étendit rapidement dans d’autres régions, en particulier en Italie du Nord, en Lombardie, où bien des groupes de « Pauvres Lombards » se constituèrent dans les principales villes.
En 1179, à la faveur du Concile de Latran III, une délégation, vraisemblablement conduite par Valdo lui-même, vint à Rome présenter des requêtes qui furent acceptées verbalement. Elles concernaient notamment le mode de vie, dans la pauvreté, et l’autorisation de prêcher, toutefois avec l’accord du curé local. Selon certains textes, le Pape Alexandre III, ému par cet homme épris de sainteté et hanté par la mission de l’Église, aurait même embrassé Valdo.
Un grave conflit va opposer les Vaudois au clergé Lyonnais. Le nouvel archevêque de la ville, Jean de Bellesmains, leur interdit catégoriquement de prêcher, sous peine d’excommunication. Cette décision est confirmée lors du Concile de Vérone en 1183 par le pape Lucius III.
Valdo ne cède pas ; la rupture est consommée. Il est expulsé de la ville ainsi que ses disciples appelés les « Pauvres de Lyon ».
L’hostilité de l’Église s’explique : les Vaudois ne se bornent pas seulement à vivre dans la pauvreté, ils prêchent publiquement l’Évangile, en invitant les gens à suivre leur exemple. Comme ils n’étaient que des laïcs et qu’ils avaient des femmes avec eux, on leur avait interdit de s’attribuer cette tâche réservée au clergé. Ils poursuivent cependant leur prédication et critiquent avec violence les mœurs des prêtres.
Pierre Valdo et ses partisans sont donc alors contraints de s’éparpiller au long des routes ; ils essaiment ainsi le long de la vallée du Rhône, en Provence, dans le Piémont.
Il faut pourtant noter que Valdo et ses disciples n’ont pas cherché à rompre définitivement avec l’Église ; ils se considéraient comme la « pars begnina », alors que Rome en était la « pars maligna », rongée par les péchés.
A la mort de Pierre Valdo, que l’on situe vers 1206, son mouvement et lui-même étaient, semble-t-il, proches d’une réconciliation avec l’Église ; le pape Innocent III était même disposé au dialogue.
Les Vaudois ont néanmoins été définitivement déclarés hérétiques en 1215, après la Croisade des Albigeois (1209-1214). L’Église, qui avait écrasé dans le sang la menace cathare, n’avait plus besoin de ménager ses encombrants alliés.
L’idéal vaudois de pauvreté inspira en Europe bon nombre de mouvements comme l’ordre des Frères mineurs, fondé en 1209 par François d’Assise. François, fils d’un riche marchand, était en réaction contre la puissance grandissante de l’argent dans la société ecclésiastique et laïque. À l’origine, les Franciscains ne devaient pas posséder de biens ; ils vivaient de leur travail ou d’aumônes et prêchaient dans les villes. Mais, contrairement aux Vaudois, ils avaient obtenu l’autorisation de prêcher : en effet François et ses disciples se montrèrent toujours respectueux des consignes du clergé.
L’influence vaudoise inspira aussi le mouvement Hussite qui commença en Bohême à partir du XVe siècle, annonciateur de la Réforme protestante.
Lors du synode de Chanforan en 1532, les délégués vaudois choisirent d’adhérer à la Réforme et décidèrent de faire traduire la Bible en français par Olivetan, cousin de Jean Calvin. Le mouvement vaudois commençait sa transformation, pour devenir le « Peuple-Église » installé aujourd’hui encore dans les vallées alpines du Nord de l’Italie.
(Emission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Etranger, diffusée sur France-Culture à 8h25, le dimanche 2 novembre 2008, présentée par Alix Guiraud)
Bibl. Georges TOURN, Les Vaudois, L’étonnante aventure d’un peuple-église (1170-1980), Réveil-Claudiana, 1980, 268p., ill. et cartes.
Hubert LECONTE, L’épopée vaudoise, roman historique en 2 volets : I – Les Larmes du Lubéron, 1992, ed. Création, Tarascon. II – Le Glaive et l’Evangile, Millepertuis-Création, St-Saturnin-Lès-Apt, 1995