par Christiane Guttinger
Alors qu’est inauguré ces jours-ci le château rénové de François Ier à Villers-Cotterêts, « Cité internationale de la langue française », n’est-ce pas le moment de rappeler le rôle joué par les protestants dans l’élaboration et la diffusion de la langue française ?
« Sola Scriptura » (l’Ecriture seule) est un des principes fondateurs de la Réforme. Donner accès aux textes bibliques par la traduction la plus fidèle a constitué une priorité. Calvin peut être considéré comme un des pères de la langue française, introduisant des expressions populaires dans ses ouvrages théologiques publiés en français, et non plus en latin. Il demanda à son cousin Olivetan d’œuvrer à une traduction de la Bible puisant aux sources hébraïques et grecques et non plus seulement latines telle que l’avait réalisé l’humaniste Lefèvre d’Etaples. Il commença une traduction des Psaumes, poursuivie par Clément Marot et Théodore de Bèze, que des musiciens comme Goudimel mirent en musique : ceux que nous entonnons encore aujourd’hui lors des cultes !
François 1er tenta de lutter contre la diffusion des idées nouvelles en ciblant les milieux de l’édition. Pratiquement toute la production littéraire francophone protestante, humaniste ou contestée, se déplaça hors des frontières du royaume, à Genève, aux Pays-Bas, Berlin et Londres, pour revenir en France par des voies clandestines, passant outre la censure.
Luther comme Calvin associèrent le souci d’enseignement à la constitution de toute communauté. Adultes et enfants, filles et garçons, apprirent à lire dans la Bible dès leur plus jeune âge et l’éducation fut au cœur des préoccupations des familles et des pasteurs.
La sobre décoration des temples, reproduisant les textes du Décalogue, le « Nostre Père » ou des versets bibliques, contribua à cet enseignement.
Familiarisés à la langue française les auteurs protestants se distinguèrent dès le XVIes. La brillante Marguerite de Navarre, sœur du roi François Ier écrivant elle-même, soutint et protégea les initiatives des réformateurs. Les académies protestantes dispensèrent un enseignement supérieur couronnant un cursus adapté aux différents âges. Maniant la langue avec dextérité lors des « disputatio », les pasteurs publiaient leurs sermons, et les écrivains protestants s’essayèrent à tous les genres littéraires. Œuvres poétiques de Clément Marot, récits épiques d’Agrippa d’Aubigné, théâtre et histoire pour Théodore de Bèze avec la pièce « Abraham sacrifiant » et une Histoire illustrée des débuts de la Réforme. Jean de Léry livra une savoureuse observation ethnologique de l’expédition au Brésil.
Une abondante correspondance donna naissance à un réseau épistolier international. Au XVIIes, celui du pasteur Pierre Bayle réfugié à Rotterdam nourrit les Nouvelles de la République des Lettres, périodique ouvert sur toute l’actualité littéraire et scientifique, ainsi qu’un Dictionnaire historique et critique préfigurant l’Encyclopédie.
Journaux intimes et mémoires biographiques constituent une source précieuse de témoignages de première main pour les historiens. Les exilés pour la foi exportèrent leur langue, se faisant, pour survivre, gouvernantes, précepteurs, professeurs, et diffusant le langage spécialisé de leur artisanat. Ainsi au XVIIIe siècle le français devint la langue internationale de toutes les cours et milieux cultivés européens. Les gazettes émanant des huguenots installés dans les pays du Refuge, non soumis à la censure, informaient de l’actualité religieuse politique et culturelle, des nouveautés scientifiques, agricoles, économiques, toutes les sphères dans lesquelles ils étaient actifs.
De grands pédagogues comme l’Alsacien Oberlin renouvelèrent les méthodes d’enseignement. Au XIXe siècle, la Société pour l’encouragement de l’instruction primaire parmi les protestants de France (créée en 1829) soutint le développement des salles d’asile destinées aux plus petits, des écoles de filles et de garçons, parfois intégrées dans des temples-écoles (comme les temples du Saint-Esprit, rue Roquépine, et de Plaisance à Paris). Guizot ministre, promulgua en 1833 la première grande loi sur l’enseignement primaire public ; la IIIe République influencée par de fortes personnalités protestantes de l’entourage de Jules Ferry, tel Ferdinand Buisson, institua le système éducatif gratuit, obligatoire et laïc.
Une petite exposition, actuellement présentée dans le temple de Château-Thierry aborde ce sujet des « Protestants et la langue française », qui mériterait une présentation plus ambitieuse et professionnelle, et aurait sa place dans le château de Villers-Cotterêts. On peut toujours rêver…
Chronique des Amitiés huguenotes internationales, émission SOLAE, du dimanche 8 octobre 2023, à 8h55.