Le nom de la Pologne n’est guère associé à l’histoire de la Réforme. Pourtant ce pays a donné un réformateur d’importance, qui, il est vrai, a vécu et œuvré pour l’essentiel en dehors de son pays.
Il s’agit de Jan Laski (dit aussi Johannes a Lasco), né en 1499 à Lask, en Grande Pologne, dans une famille aristocratique qui jouait un grand rôle dans le pays ; son père était sénateur, son oncle fut chancelier de la couronne puis évêque de Guiezno. Il passa son enfance à Cracovie, puis, en 1514, accompagné de ses deux frères, il partit pour l’Italie ; ils y furent retenus durant quatre ans par leurs études. Jan fut ordonné prêtre en 1521. Son oncle, qui avait financé ses études et nourrissait de grandes ambitions pour lui, lui procura des prébendes et le fit accéder à une position élevée dans l’administration épiscopale, en attendant qu’il devint évêque. Jan Laski exerçait en même temps de hautes fonctions dans l’administration du royaume.
En 1524, il repartit avec ses frères, cette fois pour la France, s’arrêtant en chemin à Bâle où résidait Erasme qui commençait à être connu en Pologne. Ils y revinrent l’année suivante et Jan demeura alors pendant six mois dans la maison d’Erasme, lieu de réunion de nombreux humanistes. C’est alors qu’Erasme vieillissant décida de vendre sa bibliothèque à Jan Laski, dont celui-ci ne prendrait toutefois possession qu’après sa mort. Il faut voir là évidemment une marque d’estime assez remarquable. Au demeurant, le paiement s’échelonna sur des années. En 1526, Jan Laski rentra en Pologne en passant par Padoue et Venise. Il avait alors 27 ans.
Bien qu’étant érudit et théologien, Jan Laski ne resta pas étranger à l’action politique. C’est ainsi qu’il s’engagea auprès de son frère Hieronimus qui, dans le conflit autour de la succession au trône de Hongrie, avait pris le parti de Jan Zapolyais. Mais, après l’échec de cette action, la position de la famille Laski se trouva affaiblie en Pologne et Jan abandonna l’espoir de devenir évêque.
A partir de 1537, année où il rendit visite à Melanchton dans la ville de Wittenberg, il se rapprocha de la Réforme. Ses voyages le conduisirent à Mayence, puis à Louvain, où il épousa une femme de condition très modeste dont il eut plusieurs enfants, et enfin à Emden, ville toute proche des Pays-Bas sur la mer du Nord. Il retourna à Cracovie et, après ce voyage, rompit publiquement avec l’Eglise catholique. Sa vie bascula alors. L’aristocrate promis aux honneurs devint un perpétuel exilé.
En 1543, la régente de la Frise orientale, Anna d’Oldenbourg, l’appela auprès d’elle comme surintendant de l’Eglise de son Etat, position dans laquelle il montra de grandes qualités d’organisateur. Il déploya une intense activité pour affermir l’Eglise réformée, organiser les paroisses, établir l’enseignement religieux sur une base homogène. Malgré la charge de travail imposée par cette fonction qu’il avait acceptée faute de mieux, il restait en contact avec de nombreux réformateurs. Mais au bout de quelques années, sa position se trouva menacée du fait que l’Empereur souhaitait le retour au catholicisme de la Frise orientale. Dans cette perspective, il se rendit à Londres en 1548, où il entra au contact avec l’entourage du jeune roi Edouard VI qui voulait réformer l’Eglise d’Angleterre.
La régente dut se résoudre à se séparer de Jan Laski. Il trouva alors refuge à Londres où il fut nommé, en 1550, surintendant des paroisses regroupant des réfugiés protestants originaires de France, d’Italie et des Pays-Bas. S’appuyant sur une charte octroyée cette même année en faveur de ces étrangers, Laski déploya à nouveau ses talents d’organisateur et prit en main ces paroisses, qui jouissaient d’une grande indépendance.
Cette expérience londonienne s’acheva à la mort du jeune roi, sa demi-sœur, Marie Stuart « la catholique », montant alors sur le trône. Jan Laski et sa communauté durent prendre la fuite. Avec un premier groupe de 175 personnes sur les 4000 environ que comptaient les paroisses, il s’embarqua à l’automne 1553 pour le Danemark, où la petite communauté arriva après une traversée mouvementée. Mais ni dans ce pays, ni dans les ports allemands de la Baltique où ils se présentèrent, les réfugiés ne furent acceptés par les luthériens. Leur errance les conduisit alors à Emden, et pour finir, à Francfort-sur-le-Main, ville dans laquelle se trouvaient déjà d’autres réformés venus principalement de Wallonie et des Pays-Bas. Mais Jan Laski, dont le caractère s’était aigri et qui était devenu assez intolérant sur les principaux points de doctrine, ne put se maintenir à Francfort.
Il avait toujours espéré retourner en Pologne. La communauté protestante s’y était développée et il était en contact avec elle. C’est ainsi qu’à la fin de l’année 1556, il put rentrer dans son pays, où il fut nommé surintendant des réformés. Il avait préparé ce retour en écrivant au roi, au sénat et à des personnalités influentes. Il proposait une réforme complète de l’Eglise et souhaitait réunir les protestants polonais, luthériens et réformés. Mais il était malade, ses forces déclinaient et il ne put mener à bien son action. Il mourut le 8 janvier 1560, laissant sa seconde épouse dans le besoin.
Malgré les nombreux revers qu’il a subis dans sa vie d’exilé, son influence a été forte, surtout aux Pays-Bas et il a joué un rôle important dans les grands débats théologiques de son époque, comme le montrent les nombreuses lettres et documents qui sont parvenus jusqu’à nous. Sa remarquable bibliothèque, constituée de celle d’Erasme et des ouvrages qu’il put acquérir lui-même tout au long de sa vie, est conservée à Emden.
(Emission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’étranger, le dimanche 6 octobre 2002 à
par Nelly Marie REY
8 h 25 sur France-Culture. Texte de Mme Nelly Marie REY, dit par Alix Guiraud.
Bibl. Catalogue de l’exposition « Johannes a Lasco », qui s’est tenue à Emden (Allemagne) en 1999.