Consacré aux relations de la France avec les Amériques, le musée du Nouveau Monde, inauguré il y a tout juste 30 ans à La Rochelle, se veut autant le miroir des Amériques découvertes et explorées par la vieille Europe que le reflet d’une ville dynamique et commerçante enrichie économique-ment et culturellement par le nouveau continent. Peintures, dessins, gravures, cartes anciennes, objets d’art décoratif et photographies se déploient donc dans les magnifiques espaces néo-classiques de l’hôtel particulier du XVIIIe siècle où ce musée est installé.
Sous le titre « La Floride, un rêve français (1562-1565) », une exposition temporaire est proposée aux visiteurs jusqu’au 31 décembre. Elle est consacrée aux différentes expéditions visant à établir des colonies françaises en Floride. En effet, par trois fois, entre 1562 et 1565, les Français ont tenté de fonder des colonies sur le littoral de la Floride. Par trois fois, ces tentatives furent des échecs, s’expliquant par l’association redoutable de la famine, des Indiens, des cyclones et par la détermination féroce (par sa situation géographique comme par les premières expéditions espagnoles, la Floride relevait des terres attribuées à l’Espagne par le traité de Tordesillas de 1494.) des Espagnols d’empêcher toute implantation française, qui plus est majoritairement protestante, sur le sol américain.
En accord avec le roi Charles IX, l’Amiral de Coligny décida d’envoyer un contingent d’hommes Outre-Atlantique pour faire pièce à Philippe II d’Espagne, mais peut-être aussi, dans le contexte des guerres de religion en France, pour essayer de trouver en Amérique un territoire plus tolérant pour les convertis à la religion réformée.
Coligny confia donc l’expédition au huguenot dieppois Jean Ribault, accompagné d’un gentilhomme, également protestant, René de Laudonnière.
C’est ainsi qu’en février 1562, leur petite flotte quitta Le Havre de Grâce et atteignit son but fin avril. Longeant la côte, les vaisseaux explorèrent le rivage et arrivèrent à une rivière dans laquelle ils pénétrèrent le 1er mai et qu’ils baptisèrent Rivière de May. Sur ses rives, ils rencontrèrent les premiers autochtones, des Indiens Timucuas. Les Français furent éblouis par la richesse de la végétation et du gibier, la douceur du climat et par l’accueil affable et généreux des Indiens. Jean Ribault prit symboliquement possession de la contrée en élevant une colonne de pierre gravée aux armes royales.
Découvrant l’embouchure de plusieurs rivières, ils les nommèrent successivement Seine, Somme, Loire, Charente, Garonne, etc., puis Ribault dressa une seconde colonne à l’entrée d’une rivière qu’il nomma Libourne. Sur une île, il décida d’élever un fort, nommé Charlesfort en hommage au roi Charles IX, où il laissa une trentaine d’hommes avant de reprendre la mer, promettant de revenir sans tarder avec des hommes, du matériel et des vivres.
Malheureusement, l’arrivée de Jean Ribault coïncidait avec la reprise des violences religieuses initiées par le massacre des protestants à la grange de Wassy, le contraignant à se réfugier en Angleterre sans avoir revu Coligny.
Après la paix d’Amboise, Coligny convainquit Charles IX de renvoyer en 1564 trois vaisseaux commandés par René de Laudonnière. Il était accompagné du peintre dieppois protestant Jacques Le Moyne de Morgues dont les dessins servirent de modèles aux 42 planches illustrant les Voyages de découverte en Amérique publiés en 1591. Ce reportage d’une grande fidélité ethnographique pour l’époque, fait partie des tout premiers témoignages sur les tribus de Floride.
Charlesfort ayant été entre-temps déserté par les soldats français et détruit par les Espagnols, Laudonnière fonda Fort-Caroline. Au cours de l’année qui suivit, il Intervint dans les querelles internes des Indiens avec peu de sens de ses intérêts, subit des mutineries dans sa garnison et dut en outre affronter une grande disette. En août 1565, Jean Ribault vint néanmoins le conforter avec de nouveaux colons alors qu’il allait abandonner le terrain.
Mais les Espagnols qui ne voulaient pas voir les Français s’implanter dans le détroit des Bahamas, lancèrent une expédition et massacrèrent la quasi-totalité de la colonie en septembre 1565. Jacques Le Moyne fut un des rares rescapés. En 1568, Dominique de Gourgues vengea cette expédition en massacrant à son tour les Espagnols sans pour autant que la colonisation française de la Floride soit reprise.
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Peu connu en France (Il convient cependant de citer l’ouvrage de Gilles Fonteneau, Sur les traces des Huguenots de Floride, expéditions en Charenta 1562-2007, Ed. Le Croît Vif, 2008. L’auteur était venu nous présenter son ouvrage en novembre 2008.), l’épisode jouit en revanche d’une importance historiographique et symbolique très forte aux États-Unis. Cette Floride huguenote a laissé de nombreuses traces patrimoniales qui sont évoquées dans l’exposition, ainsi que dans un catalogue extrêmement riche, réunissant les meilleurs spécialistes des deux côtés de l’Atlantique (On citera notamment les articles des professeurs Franck Lestringant et Bernard Van Ruymbeke), et qui fait le point des connaissances et recherches en cours et resitue l’importance de cet événement dans le contexte européen de la seconde moitié du XVIe siècle.
par Denis Carbonnier
(Émission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Étranger diffusée sur France Culture, à 8h55, le 2 décembre 2012)