Rabaut Saint Etienne à Versailles. De l’édt de tolérance aux droits de l’homme. (Lettre 71)

par Gilles Peugeot

 

Gravure du discours de Rabaut Saint EtieneJean-Paul Rabaut est né en 1743 à Nîmes sous le règne de Louis XV. Nîmes est une ville unique : les protestants y sont minoritaires mais ce sont eux qui dirigent une activité économique très florissante dans la soie, la laine et les serges (notamment la toile « denim » bleue, ancêtre de nos blue-jeans).

 

Le modèle de ces pasteurs du Désert est Paul Rabaut (1718-1794) qui exerce la double fonction de pasteur du Consistoire de Nîmes et de Délégué Général de tous les Consistoires de France. Il se déplace de cachette en cachette au gré des cultes et des synodes.

 

Jean-Paul Rabaut (1743-1793) est son fils aîné. Lors de ses études de théologie et de droit à Genève, son précepteur lui attribue le pseudonyme de Saint Etienne car le Résident de France à Genève ne doit surtout pas apprendre qu’il côtoie un fils du pasteur Paul Rabaut !

En 1765 Jean-Paul, âgé de 22 ans, consacré pasteur en Suisse, rejoint son père à Nîmes. Il y développe en 20 ans un véritable don pour la prédication.

 

En juillet 1785, les deux pasteurs reçoivent une visite extraordinaire qui va changer le cours de la vie de Jean-Paul. Celle du Marquis de Lafayette. Il n’a pas 30 ans mais s’est couvert de gloire aux Etats Unis où il y a découvert que la plupart des colons sont protestants et jouissent d’une totale liberté de religion.

 

Or Malesherbes, ministre de Louis XVI, pense aussi qu’il est temps de mettre fin à l’hypocrisie du système français qui fait de 2 millions de protestants des parias. Mais il a besoin, pour mettre au point leur nouveau statut, de dialoguer avec un représentant du peuple protestant : sur le conseil de Lafayette, il choisit Jean-Paul Rabaut.

 

Celui-ci s’installe à Versailles et y rencontre pendant un an Malesherbes. L’Edit, dit « de Tolérance », est signé le 7 novembre 1787 à Versailles par Louis XVI. Rabaut est déçu : les protestants cessent d’être juridiquement invisibles, mais il n’a obtenu ni la liberté de conscience, ni la liberté de culte !

 

Revenu à Nîmes, il entre en politique en tant que propriétaire et non de pasteur et se présente à l’élection de député du Tiers-Etat aux Etats Généraux. Elu en mai 1789, il se réinstalle à Versailles, où il va jouer, grâce à ses qualités d’orateur, un rôle moteur aux cotés des Mirabeau, Barnave, Barrère, Robespierre…

 

En juin, il obtient les premiers ralliements de membres du Clergé au Tiers-Etat, avec les abbés Sieyès et Grégoire !

 

C’est cet instant, où le Tiers-Etat commence sa métamorphose en Assemblée Nationale, que le peintre David choisit d’immortaliser avec son projet de tableau du Serment du Jeu de Paume tenu le 20 juin 1789.

 

Les 1.200 députés se mettent au travail pour rédiger la Déclaration des Droits de l’Homme qui doit servir de préambule à la Constitution. On en arrive à l’article 10 relatif à la liberté de conscience et de religion. Une liberté complète comme aux Etats Unis, fait peur à la majorité catholique qui veut la mettre sous contrôle et déclarer la religion catholique religion dominante du royaume. C’est alors qu’un homme seul se lève et retrouvant son âme de pasteur, s’érige en défenseur de 2 millions de non-catholiques :

 

« Ce n’est pas même la Tolérance que je réclame, c’est la liberté. La Tolérance ! le pardon ! la clémence ! idées souverainement injustes envers les Dissidents tant qu’il sera vrai que la différence de Religion, que la différence d’opinion, n’est pas un crime. La Tolérance ! Je demande qu’il soit proscrit à son tour ; Et il le sera, ce mot injuste, qui ne nous présente que comme des Citoyens dignes de pitié, comme des coupables auxquels on pardonne, ceux que le hasard souvent et l’éducation ont amenés à penser d’une autre manière que nous.

L’erreur, Messieurs, n’est point un crime : celui qui la professe, la prend pour la vérité ; elle est la vérité pour lui ; il est obligé de la professer, et nul homme, nulle société n’a le droit de le lui défendre. »

 

Ainsi, par son « discours-monument » du 23 aout 1789, Jean-Paul Rabaut obtint la liberté de conscience réclamée en vain depuis 104 ans !

 

 

Chronique des Amitiés huguenotes internationales, émission SOLAE du dimanche 10 septembre 2023, à 8h55.

 

Le Château de Versailles propose des visites guidées sur le thème de « Versailles et la République ». Les Amitiés huguenotes internationales ont organisé, le 30 septembre, une visite particulière « Sur les pas de Jean-Paul Rabaut à Versailles » (cf. ci-dessus, p. 5).

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