par Christiane Guttinger
Dans un livre récemment édité par La Cause, L’histoire retrouvée des protestants de Sens, des origines à l’avènement du roi Henri IV, le pasteur Thomas Mentzel, fait remonter les origines de la Réforme à Sens aux mouvements évangéliques dissidents qui, combattus depuis le Moyen-Age par l’Inquisition, contestèrent l’autorité papale et prônaient un retour aux sources de l’église chrétienne primitive : cathares, templiers, juifs et musulmans convertis de force, vaudois et hussites. Dans le sillage humaniste et réformiste du cénacle de Meaux, Sens, située au sud de la Champagne, et dépendant au XVI°s ; de la même province ecclésiastique est aussi, dans cette mouvance.
L’auteur a reconstitué le fil de cette histoire en se basant principalement sur les écrits de Théodore de Bèze, né à Vézelay et auteur dès 1580 de L’histoire ecclésiastique des Eglises réformées au Royaume de France, le Martyrologe de Jean Crespin et les Mémoires du catholique proche des Guise, Claude Haton[1].
Après la dissolution du cénacle de Meaux en 1523, et sa condamnation par la Sorbonne, Pierre Caroli, proche de Lefèvre d’Etaples, s’éloigne de Calvin et Farel, pour revenir un temps au catholicisme. Chanoine de l’Eglise de Sens, il y fait connaitre les idées nouvelles. La répression s’intensifie après l’Affaire des placards (1534) mais n’empêche pas la progression les idées. En 1545, le Parlement de Paris enjoint l’archevêque de Sens, Louis de Bourbon, d’éradiquer cette propagation, mais celui-ci fait la sourde oreille ; et l’on envoie parallèlement des commissaires royaux. Des prisonniers sont enfermés et croupissent dans les caves du palais épiscopal de Sens, des martyres sont livrés au bucher.
Des groupuscules se constituent néanmoins, animés par une classe cultivée de juristes, avocats, médecins, notables et nobles, ainsi que des artisans, qui se réunissant dans des maisons et châteaux privés des alentours. Le peintre protestant Jean Cousin (père) a laissé quelques portraits de coreligionnaires exposés au musée de Sens. Les mesures s’assouplissent sous la régence de Catherine de Médicis, à la suite du colloque de Poissy (1560) auquel participe le sénonais Jean Raguier seigneur d’Esternay, qui aspire à la création d’une église gallicane inspirée du modèle anglican.
La 1ère église réformée est « dressée à la genevoise » à Sens, en octobre 1561 par le pasteur Jean de Beaulieu qui, venu du comté de Neuchâtel, parcourt la région et, conforté par Calvin, demande à son collègue Mathurin de La Brosse[2] d’être son 1er pasteur.
Le cardinal archevêque Louis de Guise et le maire Robert Hemard complotent pour écarter les protestants ; en avril 1562, un mois après Wassy, une émeute dégénère en massacre. Plus de cent huguenots sont tués, attachés à des poteaux et noyés dans l’Yonne, en faisant l’un des massacres les plus meurtriers des 1ères guerres de religion. Après la Saint-Barthélemy, Henri de Guise, gouverneur de Champagne vient à Sens et fait assigner les gentilshommes protestants à comparaître devant lui pour leur demander d’abjurer. Certains le firent d’autres résistèrent.
Les fiefs protestants des alentours accueillaient des cultes à Courtenay, Chomot, Arthé, Piffonds, si bien que l’on parla de Sens comme d’une Eglise multicéphale composée de plusieurs églises locales.
Les Coligny originaire de Bresse, outre Châtillon, possédaient divers fiefs et la seigneurie de Tanlay (Yonne), acquise vers 1535 par Louise de Montmorency, mère de l’amiral, de François d’Andelot, et d’Odet, abbé commanditaire des abbayes St-Jean de Sens et Vauluisant, avant qu’il ne renonce à tous ses bénéfices pour rallier, comme ses frères, le protestantisme. La fille de l’Amiral, Louise de Coligny, mariée à Guillaume de Nassau, reconstruisit le château de La Motte à Châteaurenard. Marie de Béthune épouse de Jean Ragnier, repoussa les troupes guisardes qui assiégeaient son château de Villeneuve-les-Riches-Hommes. Louis de Condé à qui une dame offrit le château de Vallery, en profita peu avant son assassinat à Jarnac. Sa descendance retourna au catholicisme.
La proximité de Sens avec la frontière suisse, Genève et Bale permit à beaucoup de protestants de s’exiler dans les périodes les plus exposées pour y revenir lors des accalmies mais ils durent se faire discrets. A la fin du XVIes, se réorganisant, les Eglises réformées du Sénonais se détournèrent de la Champagne pour se rattacher à l’Orléanais-Berry.
Le livre de Thomas Mentzel s’achève à l’avènement d’Henri IV, avec le souhait que la municipalité de Sens mette en valeur les traces de cette histoire encore inscrite dans ses murs.
Chronique des Amitiés huguenotes internationales, émission SOLAE, diffusée le dimanche 9 avril 2023, à 8h55.
Bibl. Thomas Mentzel, L’histoire retrouvée des protestants de Sens, Descendants lointains de Pierre Valdo, Des origines à l’avènement du roi Henri IV, éditions La Cause, 436 p.
[1] 4 Volumes réédités sous la direction de Laurent Bourquin, Paris, éditions du CTHS, couvrant les années 1553 à 1582.
[2] Il se réfugiera à Montargis auprès de Renée de France et deviendra médecin. Un de ses enfants, Jean, fut précepteur du jeune Maxillien de Bethune duc de Sully, puis deviendra aussi médecin.