Lettres de Jean Farenge à sa famille, 1686-1689, annotées et publiées par
Marianne-Carbonnier-Burkard et Jean-Pierre Trouchaud
par Christiane Guttinger
Oubliée pendant trois siècles, une liasse de lettres cachée dans la charpente d’une maison de Marsillargues (petite ville entre Nîmes et Montpellier) a été découverte à l’occasion de travaux. Il s’agit d’une trentaine de lettres écrites de Suisse entre 1686 et 1689, par un certain Jean Farenge, à sa femme puis à ses beaux-parents.
Ce Jean Farenge, né à Marsillargues en 1661, était teinturier, et fidèle de l’Eglise réformée de la ville. Fin août 1685, il a épousé Madelaine Fontanès, âgée de 17 ans, alors que la campagne militaire des conversions forcées des protestants progressait dans le Midi. Sous la terreur des dragons, les réformés abjuraient en masse. Début octobre, en une semaine, 770 Marsillarguois adultes, dont Jean Farenge et sa femme, abjurent « l’hérésie de Calvin » devant le curé. Le 17 octobre, le roi signe l’édit de Fontainebleau révoquant l’édit de Nantes. Dorénavant la « religion prétendue réformée » était interdite dans tout le royaume et l’émigration interdite.
En février 1686, bouleversé par son abjuration qui l’a fait « nouveau catholique », Jean Farenge quitte clandestinement Marsillargues, gagne Genève trois semaines plus tard, puis Lausanne, et Berne, où il est embauché par un maître teinturier. Début 1687, il s’installe à Yverdon, dans le pays de Vaud francophone, comme maître teinturier. Son épouse, dont le départ a été différé par sa grossesse, le rejoint en septembre avec leur enfant de dix mois.
Cette période est celle du pic des arrivées des exilés huguenots en Suisse. Pour les cantons accueillants, la charge des réfugiés s’alourdit et après de mauvaises récoltes, la situation devient critique. et les cantons étudient des plans de départ massif des réfugiés vers l’Allemagne et même vers l’Irlande.
A l’été 1693, Jean Farenge, sa femme, son fils et sa fille (née à Yverdon), font partie des convois de réfugiés dirigés vers l’Irlande. En 1694, on le retrouve teinturier à Dublin. Sans doute épuisée par le voyage, Madelaine a dû mourir peu après. Jean Farenge se remariera avec une réfugiée et était, en 1721, lecteur à l’Eglise française « non-conformiste » de Dublin. On perd ensuite sa trace. Il a dû mourir à Dublin vers 1730.
L’intérêt des lettres du réfugié de Marsillargues vient de ce qu’elles sont écrites de la main d’un artisan, à une époque précoce du Refuge huguenot. Jean Farenge s’exprime avec naïveté tout en maniant la langue biblique comme une langue vivante. Il appelle sa femme et ses proches à quitter « Babylone » désignant ainsi la France catholique, pour rejoindre le « pays de Canaan » qu’est la Suisse. Il dit sa foi, sa confiance dans la providence de Dieu, et dans sa grâce. Sa foi a porté cet humble teinturier huguenot qui n’avait jamais dû aller au-delà de Montpellier, Nîmes et Beaucaire, à quitter toutes ses sécurités et partir vers des pays inconnus, jusqu’au bout de l’Europe.
Les vieux murs peuvent encore receler des trésors cachés pendant les périodes clandestines ! Témoignage direct exceptionnel, ces lettres écrites de Suisse par Jean Farenge entre 1686 et 1689 à sa famille restée en France, ont été transcrites et annotées par Marianne-Carbonnier-Burkard et Jean-Pierre Trouchaud, et viennent d’être publiées aux éditions Alphil sous l’égide de l’Association suisse du refuge huguenot.
Cet ensemble de lettres est aujourd’hui exposé au Musée du Désert.
(Chronique des Amitiés huguenotes internationales diffusée à la fin de l’émission SOLAE, sur France-Culture, le dimanche 14 aout 2022, à 8h55)
Bibl. Marianne Carbonnier-Burkard, Jean-Pierre Trouchaud, Un huguenot de Marsillargues réfugié en Suisse. Lettres de Jean Farenge à sa famille, 1686-1689, Editions Alphil-Presses universitaires suisses, publication de l’Association suisse du refuge huguenot, 2022, 305 pages, cartes et illustrations.
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