par Didier Poton de Xaintrailles (président du Musée rochelais d’histoire protestante)
Jeanne d’Albret quitte Nérac le 6 septembre 1568 avec ses deux enfants, Henri et Catherine.
Elle est âgée de 41 ans. Elle est veuve. Son époux Antoine de Bourbon est mort, revenu au catholicisme, en 1562.
A un émissaire de Catherine de Médicis l’interrogeant sur les motifs de ce voyage, elle répond : « Le service de mon Dieu et la vraie Religion », « Le service de mon roi et l’amour de notre patrie la France », La défense des droits « d’une race si illustre que celle des Bourbons, tige de la fleur de lys ».
Elle arrive à La Rochelle le 28 septembre. Les échevins l’accueillent. La Rochelle a rallié la Cause il y a peu de temps avec l’élection de son premier maire protestant.
Elle y retrouve Coligny, Condé et la plupart des chefs du parti huguenot à qui elle présente Henri comme prétendant légitime au trône de France et Protecteur des Eglises réformées du royaume.
La Rochelle a été choisie par Coligny car celui-ci a compris son importance stratégique. Ouverte sur la mer, la cité-port, peut à la fois armer des navires destinés à engager une guerre de course contre les vaisseaux et galions espagnols et aussi recevoir des renforts d’Angleterre et des Pays-Bas en révolte contre le roi d’Espagne. Louis de Nassau n’est-il pas déjà présent ?
Les huguenots déclenchent la guerre en Saintonge et en Poitou : il s’agit d’établir un glacis défensif autour de la Rochelle. Les défaites s’accumulent (Jarnac, Moncontour, Poitiers). Condé est tué. Coligny gagne le Languedoc, remonte en Bourgogne, remporte la bataille d’Arnay-le-Duc. Paris est menacé ; les négociations débouchent sur la paix de Saint-Germain (août 1570). Une belle victoire politique.
Pendant cette guerre Jeanne d’Albret réside à La Rochelle sauf pendant l’hiver 1568-1569 qu’elle passe à Niort. Pendant les derniers mois de la guerre, elle est seule à La Rochelle. Elle n’y est pas totalement à l’abri : en décembre 1569 des soldats royaux la surprennent dans un faubourg. Elle est sauvée par l’arrivée du gouverneur de La Rochelle, François de La Noue.
Coligny et les princes sont de retour à la Rochelle dès septembre 1570. Sa correspondance témoigne des affres d’une mère dont le fils découvre les camps militaires et les champs de bataille : « Ceux qui me connaissent que mère et par conséquent femme, et mon fils que pour enfant, nourri délicatement et doucement avec moi jugeront que ce départ de lui et moi, il y a eu, selon la proximité, le sexe, l’âge beaucoup de larmes ».
A côté de l’action politique, Jeanne d’Albret engage une action religieuse et ecclésiastique pour l’ensemble du protestantisme français. C’est à la Rochelle qu’elle entend réaliser cette ambition.
Elle fonde une académie sur le modèle de celle de Genève. Il s’agit de pouvoir pour former les futurs pasteurs indispensables aux Eglises toujours plus nombreuses entre Gironde et Loire. Dès 1568, Jeanne d’Albret et les Grands du parti soutiennent financièrement le collège existant depuis 1546 pour en faire « une pépinière pour l’entretien du sainct ministère de ladite religion reformée ».
En 1571 une nouvelle impulsion est donnée par Jeanne d’Albret : fondation d’une chaire d’hébreu et d’une de grec, deux langues indispensables à la formation des proposants en théologie. Un éminent orientaliste, Pierre Martini rejoindra l’établissement qui ne tient que par le soutien financier de Jeanne d’Albret et de Coligny.
Elle convoque le VIIe synode national des Eglises réformées de France. Le « synode des Princes » s ‘ouvre le 2 avril 1571. Il est présidé par Théodore de Bèze. Les premiers articles sont consacrés à l’examen de la Confession de foi élaborée au premier synode qui s’était tenu à Paris en 1559.
Il s’agit de stabiliser la doctrine.
La confession de foi « dite de la Rochelle » devient le texte doctrinal de la réforme française. Elle est le résultat d’une volonté politique, celle de Jeanne d’Albret, qui a réussi à faire jouer à La Rochelle,
– la légitimité théologique de Théodore de Bèze,
– de puissants relais dans le corps pastoral,
– le soutien des Grands du parti huguenot,
– la légitimité dynastique de son fils Henri.
En août 1571, Jeanne d’Albret rejoint Nérac.Elle passe l’hiver 1572 à Blois. Les pourparlers avec Catherine de Médicis concernant le mariage d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois sont difficiles. Atteinte d’une pleurésie, elle meurt à Paris le 9 juin 1572.
C’est à la Rochelle qu’elle aura à partir de l’automne 1568 jeté les fondements d’un projet politique et religieux qui échoue avec les tragiques massacres de la Saint-Barthélemy.
(Chronique des Amitiés huguenotes internationales diffusée à la fin de l’émission SOLAE, sur France-Culture, le dimanche 10 avril 2022, à 8h55)