par Christiane Guttinger
Dans notre imagination, le nom de Brunhoff est associé à Jean de Brunhoff, l’auteur de Babar, mais un livre récent, d’Yseult Williams, « La splendeur des Brunhoff », nous fait découvrir toute une famille protestante d’origine aristocratique allemande et alsacienne, pleine de talents innovants, qui, dans les années vingt, fut à la pointe de la mode parisienne, de la presse et de l’édition illustrée par des photos et les croquis d’artistes.
Ida (1838-1906), la grand-mère, arrivée à Paris quelques années avant l’invasion prussienne, profite de la disparition des archives de l’Etat-civil dans l’incendie de la Commune pour, en cette époque germanophobe, franciser ses origines (et se réfère à une origine suédoise, par un enfant naturel d’Oscar Ier, roi de Suède et de Norvège). Elle inscrit son fils à l’école sous le nom de Maurice (Wiesbaden 1861-1937) et non Moritz.
Maurice, ingénieur diplômé de Centrale, épouse Marguerite Meyer-Warnod, fille d’Alsaciens patriotes réfugiés à Paris. Il se lance dans l’édition, introduit la quadrichromie, et remporte en 1900 le Grand prix pour le Catalogue de l’exposition de Paris. En 1902, il créé sa propre maison d’édition « M. de Brunhoff Cie éditeurs imprimeurs » (basée 1, av de l’Observatoire), et monte une filiale à New-York (30 La Fayette Place) qui édite une Bible illustrée par James Tissot. Il lance en 1908 la revue, « Comoedia illustré[1] » dédié aux arts de la scène, faisant connaître les ballets russes, aux costumes dessinés par Bakst, par des articles signés Cocteau et Apollinaire…
Les enfants de Maurice de Brunhoff, ouverts aux milieux artistiques et élevés à l’Ecole alsacienne, continueront sur cette lancée.
Sa fille, Cosette, épouse Lucien Vogel un passionné d’image, qui dirigera la revue Art et Décoration[2], faisant appel à des illustrateurs, architectes, décorateurs, photographes, et écrivains, qui publiera en 1912 un article fondateur sur Le nouveau style annonçant l’Art Déco.
Jacques et Michel de Brunhoff épaulent leur père à Comoedia, puis Michel associé à son beau-frère Lucien Vogel crée en 1912 la Gazette du bon ton, puis Vogue qui va promouvoir la haute couture et la mode française par l’édition américaine, propriété du magnat américain Condé Nast, à qui ils fournissent dessins, photographies et articles, faisant travailler de nombreux artistes débutants et couturiers (Paquin, Worth, Doucet, etc), avec des articles signés Cocteau, Cendrars, Max Jacob, Gide, Louise de Vilmorin, Malraux… Pacifiste, Lucien Vogel fonde le magazine Vu. Il s’attaque au fascisme et publie en mai 1933 « Vu explore incognito le IIIe Reich » illustré des premières photos du camp de concentration de Dachau, où sont internés communistes, intellectuels et juifs, que sa fille, l’épouse du communiste Paul Vaillant-Couturier, a réussi à photographier subrepticement en grimpant sur le toit d’une voiture, après avoir assisté pour le journal à un meeting d’Hitler au stade de Berlin.
Jean de Brunhoff, le papa de Babar, le dernier de cette fratrie, peint et dessine, mais atteint de tuberculose osseuse meurt prématurément en 1937. Sa femme invente un soir pour leurs enfants une histoire d’éléphanteau orphelin qui l’inspire et qu’il illustre. Son frère Michel l’éditera par le Jardin des modes en 1933, et Babar connaîtra un succès planétaire. Son fils Laurent continuera ses aventures. On peut trouver des allusions aux évènements de l’époque avec ce roi de Célesteville qui recherche l’harmonie pour son peuple, mais est attaqué par le belliqueux rhinocéros dont la coiffe évoque un casque à pointe…
(Chronique des Amitiés huguenotes internationales diffusée à la fin de l’émission SOLAE, sur France-Culture, le dimanche 14 novembre 2021, à 8h55)
Pour aller plus loin : Yseult Williams, La splendeur des Brunhoff,
Les 1ères éditions de Babar dues à Jean de Brunhoff (Paris 1899-Crans Montana 1937) sont :
- Le Voyage de Babar, Editions du Jardin des modes, octobre 1932
- Le Roi Babar, Editions du Jardin des modes, décembre 1933
- A.B.C. de Babar, Editions du Jardin des modes, décembre 19347
- Les Vacances de Zéphir, Hachette décembre 1936
Les Babar, édités par Hachette, sont des albums posthumes mis en couleur par son fils Laurent de Brunhoff qui, né en 1925, va poursuivre les aventures de Babar par une quinzaine de titres : Babar en famille, Hachette, avril 1938 ; Babar et le Père Noël, Hachette décembre 1941 ; Babar et ce coquin d’Arthur, Hachette, 1946…
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Le Palais Galliera, musée de la Mode de la ville de Paris,10 Av. Pierre 1er de Serbie, 75116 Paris, présente du 2 octobre 2021 au 30 janvier 22, une exposition « Vogue Paris 1920-2020« , qui célèbre les 100 ans du magazine fondé par Condé Nast en 1920. L’exposition ouvre sur une présentation de toutes les couvertures de Vogue. Celles des années de la direction de Michel de Brunhoff sont de véritables créations artistiques, dessins et œuvres originales d’artistes qui deviendront connus comme Baskt, Christian Bérard, Cocteau, puis cèdent la place à la photographie… Des photos et documents évoquent ce laboratoire de la mode et de la création parisienne des années vingt, enrichissant la lecture du livre d’Yseult Williams, et témoins de quelques affinités électives parpaillotes parmi les noms des nombreux collaborateurs.
[1] Comoedia, journal artistique bimensuel (1908-1936), dont le supplément bimensuel illustré de photographies et de dessins en couleurs est confié dès le 15 décembre 1908 à Maurice de Brunhoff (1861-1937). Il fusionne avec Le Théâtre entre 1922 et 26
[2] Art et Décoration, mensuel consacré aux arts décoratifs, est créé en 1897 par Émile Lévy. A sa mort en 1916, la revue et la librairie sont reprises par son neveu Albert Lévy.