Le 3 mars 1802, la Classe des Sciences morales et politiques de l’Institut choisit un sujet de concours intitulé « Quelle a été l’influence de la Réformation de Luther sur la situation politique et le progrès des Lumières ».
Ce choix est politique. L’été précédent, Pie VII et Bonaparte ont signé un Concordat déclarant la religion catholique « religion de la majorité des Français ». C’est une déception pour les protestants et les progressistes de l’Institut. Alors que le « parti catholique » triomphe avec la publication du Génie du Christianisme et la ratification du Concordat suivie d’une messe solennelle à Notre-Dame, La Décade philosophique, dirigée par le protestant Jean-Baptiste Say, publie dans le même numéro le texte du Concordat et l’annonce du concours. Bonaparte, qui vient d’épurer le Tribunat en évinçant les idéologues, réforme l’Institut en janvier 1803 : la Classe des Sciences morales est supprimée et ses membres répartis dans d’autres classes.
C’est la Classe d’Histoire et de littérature ancienne qui décerne le prix en mars 1804. Six des sept candidats ont fait l’éloge de la Réforme. Le lauréat est Charles de Villers, officier lorrain catholique de 39 ans émigré à Göttingen où il avait été séduit par la culture allemande ; mais son livre sur la philosophie de Kant, publié en 1801 avec une dédicace à l’Institut, avait déplu aux matérialistes de la Classe des Sciences morales. Villers, qui bénéficie de l’anonymat du concours, n’avait pour appui que le luthérien Georges Cuvier qui préside la Classe des Sciences et quelques historiens protestants de Strasbourg. Il s’est lié avec Benjamin Constant, Germaine de Staël et l’ambassadeur de Berne Stapfer.
Portrait de Charles de Villers par Friedrich Carl Gröger, 1809. Portraitiste renommé d’Allemagne du Nord.
(wikipedia commons)
L’Essai sur l’influence de la Réformation de Villers présente la Réforme luthérienne sous un jour favorable inédit en France. Il est le premier à faire le parallèle entre les nations catholiques et les pays protestants à l’avantage de ces derniers. Le livre connait un grand succès et Villers est élu correspondant de l’Institut. Une discussion théologico-politique se développe, opposant les libéraux aux catholiques. Elle ne dure pas, car l’Empereur ne veut pas voir renaître les controverses. L’Essai est bien reçu dans les pays protestants où il est commenté et traduit : en Allemagne, où Villers est connu, aux Pays-Bas, au Danemark, en Suède avec le soutien de Bernadotte. James Mill publie une édition très annotée. Aucun concours de l’Institut n’a eu un tel écho en Europe.
En 1808, l’Empereur, désormais en conflit avec le pape, laisse paraître une nouvelle édition. Retourné en Allemagne où il défend les universités menacées, Villers, qui voulait écrire une Vie de Luther, se contente de traduire celle de Melanchton pour l’Almanach protestant. Il meurt en 1815, ayant perdu sa chaire à Göttingen après le départ des français. Il ne s’est pas officiellement converti mais il est enterré suivant le rite luthérien.
Ses théories sur la supériorité des nations protestantes ont ouvert la voie à celles d’Edgar Quinet, de Max Weber et d’Alain Peyrefitte.
Quant à l’Institut, plus antipapiste que favorable à la Réforme en 1802, il ne retrouvera jamais ce « moment protestant », même lorsque Guizot en sera une figure marquante.
par Michèle MOULIN, Conservateur honoraire de la bibliothèque de l’Institut de France.
(Culture protestante, chronique mensuelle des Amitiés huguenotes internationales, diffusée sur France Culture à 8h55, le 29 mars 2020, au lieu du 5 avril prévu, en raison de reprogrammations décalées dans le cadre de la crise sanitaire liée au corona virus)