Le graveur Bernard Picard, est né en 1673 à Paris. Il est formé par son père Etienne Picard, surnommé le Romain après un séjour à Rome, puis par les graveurs Benoît Audran et Sébastien Leclerc. Après des séjours aux Pays-Bas, en Angleterre et en Suède, Bernard Picard s’établit définitivement en Hollande, sans doute pour des raisons religieuses. D’origine catholique, il a fréquenté les jansénistes et se convertit au protestantisme, admis en 1712 à l’Eglise wallonne huguenote d’Amsterdam. Amsterdam où il meurt en 1733.
Une récente exposition au musée de Port-Royal des Champs a révélé ses qualités de dessinateur, suite à l’achat par ce musée, d’une série de dessins à la sanguine illustrant les miracles du diacre janséniste Paris sur la tombe duquel, au cimetière St-Médard, des possédés entraient en convulsions…
A partir de 1723, le Traité des cérémonies religieuses de toutes les nations, est publié à Amsterdam en 9 volumes, illustrés d’environ 600 grandes planches gravées à l’eau forte et au burin par Bernard Picard.
Ces gravures décrivent les rites de toutes les religions du monde. Catholiques, protestants réformés néerlandais, luthériens, anglicans, anabaptistes, quakers, orthodoxes et juifs y sont mis en scène parallèlement aux indous, mexicains et musulmans. Les scènes concernant les peuples exotiques s’appuient sur des récits de voyage plus ou moins fantaisistes, reproduisant entre autres des gravures de Jean de Lery, mais les descriptions des religions européennes ont une réelle valeur documentaire. Les lieux sont décrits avec minutie. Les compositions très fouillées, à multiples petits personnages, permettent de distinguer la fonction et le rang social selon les vêtements et les chapeaux. Les scènes sont traitées comme des pièces de théâtre et l’on y sent percer l’humour.
Très fécond, Bernard Picart est assurément un des meilleurs graveurs des débuts du XVIII°s.
Grâce à son trait aiguisé, nous visualisons l’intérieur de l’églises luthérienne d’Augsbourg, le temple huguenot d’Amsterdam où un nouveau pasteur est installé selon le rite d’imposition des mains, comment les anabaptistes communiaient assis autour d’une grande table.
Les textes d’accompagnement sont dus à l’éditeur Jean-Frédéric Bernard (1680-1752), fils de pasteur réfugié à Amsterdam, et Bruzen de la Martinière, catholique originaire de Dieppe, auteur entre autres d’une édition allemande de 1748 du Grand Dictionnaire géographique et critique. Ils présentent toutes les religions sur un pied d’égalité, sous l’angle d’une étude de mœurs, et soulignent la relativité des croyances. Les scènes de tortures dénoncent l’horreur de l’Inquisition ; interminables processions catholiques, rites et dogmes sont un peu tournés en dérision : l’ouvrage fut mis à l’index, ce qui n’empêcha pas son succès. En France, on réédita des planches gravées, mais sans le texte subversif.
Trois historiens ont souligné combien ce livre « a changé l’Europe » (Lynn Hunt, Margaret C. Jacob et Wijnajnand Mijnhardt, the book that changed Europe : Picard et Bernard’s Religious Ceremonies of the World, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press/Belknap Press, 2010.) par cette démarche comparative et sociétale de la religion annonçant les Lumières. C’est d’ailleurs Marc-Michel Rey, le gendre de Jean-Frédéric Bernard qui reprit son fonds et édita Rousseau, Diderot et Voltaire à Amsterdam,
Soulignons le rôle primordial d’Amsterdam dans l’édition en français de livres au XVIIe et XVIII e siècle, réintroduits clandestinement dans les milieux protestants par le biais des colporteurs et des foires. Ils contribuèrent à alimenter la réflexion et entretenir la pratique religieuse des Réformés en contournant la censure.
par Christiane Guttinger.
(Chronique mensuelle des Amitiés huguenotes internationales diffusée sur France Culture, à 8 h 55, le 3 novembre 2019).
Bernard Picard : l’installation d’un nouveau pasteur à l’Eglise wallonne d’Amsterdam
La Cène des Anabaptistes
Magnifique étude si essentielle à l’histoire des idées.