« Sébastien Bourdon, peintre protestant ? » (Lettre 62)

Affiche de l'ex^position Sébastien Bourdon

Une exposition présentée au musée de Port-Royal-des-Champs.

« Sébastien Bourdon, peintre protestant ? » point d’interrogation. L’interrogation ne porte pas sur l’appartenance religieuse de l’artiste, historiquement prouvée par sa fréquentation régulière du temple de Charenton, mais sur la façon dont Sébastien Bourdon a pu manifester ses convictions, au XVIIe siècle, à travers ses œuvres, dont la plupart furent commandées par l’Eglise catholique.

Né en 1616, à Montpellier, Sébastien Bourdon se forme tout jeune auprès du peintre parisien Berthélémy, fait un séjour à Rome écourté par la crainte d’être dénoncé à l’Inquisition, puis revient à Paris où il fréquente un cercle de peintres, graveurs, orfèvres et marchands protestants établis autour de St-Germain des Prés. Peintre reconnu, malgré son appartenance religieuse, il travaille avec souplesse pour des communautés catholiques de Paris et Montpellier, et reçoit même la prestigieuse commande du Crucifiement de saint Pierre, « May » de 1643 offert à Notre-Dame de Paris par la corporation des orfèvres.

En 1648, il participe à la création de l’Académie de Peinture et de Sculpture, initiée par Le Brun et Philippe de Champaigne, avec plusieurs autres peintres protestants dont son beau-frère Louis du Guernier, les deux frères Testelin, Samuel Bernard, le portraitiste Ferdinand Elle, et Abraham Bosse. Il en deviendra même recteur.

Rappelons que dix ans auparavant, le salon littéraire du calviniste Valentin Conrart (Paris1603-1675) avait été, à l’origine de l’Académie française. Conrart en avait établi les statuts sous la protection de Richelieu qui manifesta une certaine volonté de coexistence religieuse, et reçut ainsi le Consistoire de Montauban en tant que société de « gens de lettres ». Ce climat pacifiste perdure avec Mazarin jusqu’aux années 1660.

L’exposition de Port-Royal, met en évidence les « marqueurs » calvinistes dans l’œuvre de Bourdon : prédilection pour les sujets bibliques, introduction de symboles comme les tables de la Loi, une aiguière en lieu d’un crucifix sur un autel, le tétragramme – les 4 lettres hébraïques -apparaissant dans le buisson ardent en place de Dieu le père…
La théologie protestante ne lie pas le Salut aux œuvres, mais l’attention au prochain est au cœur du message biblique. La série gravée des 7 Œuvres de miséricorde (dédiée à Colbert) apparait comme une réponse calviniste aux 7 sacrements de Nicolas Poussin. Bourdon y exprime sa spiritualité par le choix des scènes représentées. Il élimine l’interprétation catholique associant le texte de Matthieu XXV au jugement dernier : prosaïquement un berger sépare les brebis des boucs. Bourdon associe des personnages de l’Ancien testament à chacun des actes de miséricorde : Abraham à « Donner à manger » ; le prophète Abdias à « Donner à boire ». « Accueillir les étrangers », « Vêtir les nuds », « Soigner les malades », « Libérer les captifs », »Enterrer les morts », font allusion au sort des protestants repoussés et contraints dans le royaume de France.

En 1557, de retour de Suède où il a exécuté le portrait équestre de la reine Christine, Bourdon décore à Montpellier l’hôtel particulier de son coreligionnaire, le comte de Vauvert d’une suite consacrée à Moïse, Moïse libérateur de son peuple à rapprocher de Guillaume d’Orange…, message explicite adressé à l’entourage de cet influent notable languedocien.

 

par Christiane Guttinger

(Chronique mensuelle des Amitiés huguenotes internationales diffusée sur France Culture, à 8 h 55, le 2 décembre 2018).

Une autre exposition est aussi à voir en ce moment, jusqu’au 15 février 2019 : « Maudits livres luthériens » : aux origines de la réforme en France, à la Bibliothèque Mazarine.

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