Tous les trois ans, le Comité protestant des Amitiés françaises à l’étranger organise une réunion internationale proposant la découverte d’une région française au travers du prisme protestant.
La prochaine région visitée sera le Bordelais et la vallée de la Dordogne, du 14 au 20 septembre 2015.
Bordeaux protestant ? Non, Bordeaux a toujours été majoritairement catholique mais une élite protestante cosmopolite y eut une forte influence. Séverine Pacteau-de Luze s’est attachée à en écrire l’histoire originale.
Bordeaux connait tôt les idées nouvelles. Farel y prêche en 1523, puis, c’est surtout la création en 1533, du collège de Guyenne par Jehan de Tartas, rejoint par une vingtaine de professeurs parisiens humanistes, suspects d’hérésie, qui va en apporter l’esprit. Le portugais André de Gouvéa, l’écossais Buchanan, le latiniste Mathurin Cordier, l’érudit Elie Vinet vont, entre autres, introduire une nouvelle approche des textes anciens, une certaine liberté d’esprit et d’érudition.
Montaigne futur maire de Bordeaux y fait ses études.
Le Parlement de Bordeaux applique avec rigueur les consignes répressives de François Ier et Henri II,, Aymon de la Voye, prédicateur à Sainte-Foy-la-Grande est condamné au bûcher, mais le cercle des fidèles s’élargit. Un président au Parlement, Pierre de Carle, accueille des prêches dans les années 1560.
Après l’Edit de Nantes, un temple est construit à Bègles, des pasteurs envoyés de Genève.
Des nobles des environs, menés par Durfort, seigneur de Duras, tentent un coup de main repoussé par l’impitoyable Montluc au Château Trompette qui servira de prison aux hérétiques de la région (dont Bernard Palissy, arrêté à Saintes). Il occupait l’esplanade des Quinconces.
La sanglante Saint Barthélemy contraint de nombreux huguenots à l’exil ou à l’abjuration, et semble éradiquer la présence des réformés…
Mais depuis le XVIIe siècle, des négociants en vin anglais, irlandais et hollandais aménagent quais et entrepôts dans une zone marécageuse située hors les murs Nord,[ à proximité d’un monastère auquel ils doivent leur surnom de chartrons. Exportant le vin des producteurs de la vallée de la Dordogne et de l’Agenais gagnés à la Réforme, ils commercent avec les pays d’Europe du Nord et l’Atlantique.
Ainsi, c’est à Bordeaux que les Etats-Unis nommeront en 1790 leur 1er consul à l’étranger, en la personne de Joseph Fenwick (1762-1849). ! Son magnifique hôtel particulier borde le quai, à proximité de maisons de tradition hollandaises !
Une dynamique société protestante assimile les étrangers et prospère sans attendre l’édit de Tolérance. La solidarité confessionnelle et les alliances familiales favorisent les échanges, la formation internationale des jeunes, l’esprit d’entreprise et la constitution de fortunes considérables.
Les premiers prêches publics se font du balcon de Jeanne de Lartigue, l’épouse de Montesquieu (toujours visible, impasse de la rue Neuve).
Le Concordat (1803) affecte aux protestants le temple du Hâ, ancienne chapelle des Filles de Notre-Dame (à qui étaient « confiée » l’éducation des jeunes protestantes enlevées à leur famille). La communauté s’épanouit et s’investit dans des œuvres caritatives, l’éducation, et la construction d’un beau temple néo-classique aux Chartrons en 1831.
Suite à une réorganisation drastique, le Hâ est aujourd’hui au cœur de l’activité cultuelle, culturelle et sociale de la paroisse protestante de Bordeaux.
Le cimetière des étrangers, les chapelles anglicane et luthérienne, le quartier des Chartrons, les patronymes des paroissiens à consonance britannique ou germanique témoignent de cette société protestante cosmopolite qui a tant participé à la prospérité de Bordeaux…
Une prochaine émission évoquera la vallée de la Dordogne, terroir protestant !
par Christiane Guttinger
(Émission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Étranger diffusée sur France Culture, à 8h55, le 1er février 2015)
Bibl. Séverine Pacteau-de Luze, Les protestants et Bordeaux, Ed. Mollat, 1999, 286 p. ill.
Le temple désaffecté des Chartrons
Inauguré en 1835 sous le ministère du pasteur Antoine Vermeil, bâti par l’architecte Armand Corcelles, également auteur de la première synagogue de Bordeaux (1810-12 détruite par un incendie en 1873), du temple de Sainte-Foy-la-Grande inauguré en 1829, de l’église catholique Saint-Martin de Pauillac (1829), et de châteaux des alentours de Bordeaux (Labégorce à Margaux, Bonnefont à Talence)..