La prochaine réunion internationale des descendants de huguenots, qui aura lieu en septembre prochain en Ardéche et dans la Drôme, sera l’occasion de croiser les chemins de deux personnalités hors du commun qui, toutes deux, ont contribué, au XVIIIe siècle, à la restauration du protestantisme en France : Antoine Court, né en 1695 à Villeneuve de Berg en Vivarais, et Jacques Roger, de 20 ans son aîné qui œuvrera essentiellement dans le Dauphiné.
Le programme de restauration des Églises au Désert se situe dans un contexte particulier : l’insurrection camisarde s’est soldée par un échec et la fin du règne de Louis XIV laisse espérer un répit de la répression. De fait, sous la Régence de Philippe d’Orléans (1715-1723), si la législation antiprotestante reste inchangée, son application est plus intermittente, la pression se relâche. L’intendant Basville est même remercié, après trente-trois ans de pouvoir en Languedoc (1718).
Jeune prédicant de vingt ans, Antoine Court (1695-1760) prend contact avec d’autres prédicants des Cévennes, dont d’anciens camisards rentrés du Refuge, comme Pierre Corteiz (1683-1767). Il leur fait partager son projet d’une refondation des Églises détruites.
Le programme est adopté en août 1715, lors d’une réunion clandestine qui se tient aux Montèzes, hameau de Monoblet, en Cévennes, par sept prédicants et deux fidèles, formant ainsi le premier « synode du Désert ».
Il s’agit d’abord d’« éteindre le fanatisme », autrement dit de faire taire les prophètes, surtout les prophétesses. Il est également convenu de tenir des « assemblées » pour instruire et maintenir le peuple réformé, et de rétablir autant que possible l’ancienne discipline des Églises, donc les consistoires et les synodes. Il faut donc créer un corps de ministres, mieux formés pour instruire le peuple et diriger les assemblées, et régulièrement consacrés.
C’est ainsi qu’Antoine Court envoie le prédicant Pierre Corteiz (1683-1767), son adjoint et ami, recevoir la consécration à Zurich. A son retour, Corteiz procède à la consécration de Court lors d’un synode (le 21 novembre 1718).
Ainsi, se trouve rétablie la filiation de l’ordination pour la France réformée.
Le troisième pasteur, Jacques Roger (1665-1745), a une histoire différente, puisqu’ayant vécu en Suisse et en Allemagne où il a fait des études de théologie, il a été consacré pasteur et exercé un ministère. A la mort de Louis XIV, il quitte son poste pour retourner en France et y prêcher malgré les dangers. Il adhère au programme du jeune Antoine Court et poursuit son ministère clandestin en Dauphiné pendant 30 ans.
Pierre Corteiz, Antoine Court et Jacques Roger constituent donc les 3 premiers « pasteurs du Désert ».
Les assemblées, interdites par la loi, pourchassées, suspectes aux notables et aux pasteurs du Refuge, sont au cœur du dispositif d’Antoine Court et de ses amis. Elles ont en effet une double fonction, publicitaire et identitaire :
– Une fonction publicitaire, tout d’abord, pour faire comprendre aux autorités que le protestantisme est toujours vivant. Mais encore faut-il redonner aux assemblées une respectabilité que les désordres prophétiques et les violences camisardes leur ont fait perdre. Court refuse les prédicants-prophètes, agités et agitateurs : place maintenant aux proposants et aux pasteurs. Il refuse de même toute forme de résistance violente à l’autorité politique : les assemblées seront pacifiques et prieront pour le roi.
– Une fonction identitaire, ensuite : constituer la communauté, l’Église, non seulement ponctuellement, autour d’un prédicant qui l’instruit et l’exhorte, mais dans la durée, par l’élection d’un consistoire d’anciens qui exerce la discipline. Aller aux assemblées vaut engagement, contrôlé par les anciens, à s’abstenir des pratiques catholiques, messe, baptême, catéchisme, mariage, extrême-onction, donc à s’exposer aux peines prévues par la loi. Aux anciens aussi le soin d’assembler les fidèles et de veiller à la pratique du catéchisme.
Vu la place stratégique des assemblées, il importe qu’il y ait de vrais ministres, reconnus tels par tous les fidèles, et par les pasteurs du Refuge, aptes à prêcher la Parole, administrer les sacrements et célébrer les mariages. Deux critères de légitimité sont posés très tôt : d’une part le contenu de la prédication, fondé sur l’Écriture seule et conforme à la confession de foi de La Rochelle ; d’autre part la reconnaissance de la vocation par un synode, qui examine le proposant, puis par la cérémonie de la consécration.
Par Denis Carbonnier
(Émission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Étranger diffusée sur France Culture, à 8h55, le 3 juin 2011)
En 1812, il y a 200 ans, fermait le Séminaire de Lausanne, créé en 1726 sous l’impulsion d’Antoine Court pour former les pasteurs qui exercèrent périlleusement leur ministère en France au temps du « Désert ».