Nous voulons aujourd’hui rendre hommage à Michel de l’Hospital, chancelier de France, un très grand français qui est mort de tristesse quelques mois après le massacre de la Saint Barthelemy, sans entrevoir l’aboutissement de ses efforts, que sera l’édit de Nantes, 25 ans plus tard.
Il y a 450 ans, à l’automne 1561, près de Saint-Germain-en-Laye, se tenait le colloque de Poissy, cette ultime tentative de la régente Catherine de Médicis pour écarter le spectre de la guerre civile sous l’arbitrage de la royauté. L’interlocuteur principal du parti catholique fut le cardinal Charles de Guise, et du côté protestant Théodore de Bèze, le bras droit de Calvin.
Voici comment Michel de l’Hospital fut apprécié par son contemporain, le chroniqueur mondain Brantôme, dans ses Mémoires des Vies des Hommes Illustres de son temps : le plus grand chancelier, le plus savant, le plus digne, le plus universel qui fut jamais en France. C’est un autre censeur, Caton que celui-là, et qui savait très bien censurer et corriger le monde corrompu.
Né à Aigueperse, en Bourbonnais vers 1505, son père était le médecin du connétable de Bourbon, déchu par François 1er pour haute trahison, puis celui de Renée de Bourbon, l’épouse du duc Antoine de Lorraine. C’est ainsi que Michel fut remarqué par le très influent Charles de Guise, cardinal de Lorraine.
Michel fit de solides études d’humanisme et de droit à Toulouse, Bologne et surtout Padoue. Revenu à Paris en 1534, il connut un début de carrière difficile. Il épousa en 1537 Marie Morin, fille du lieutenant criminel du Chatelet et obtint en dot de sa femme une charge de conseiller au Parlement. En 1547, après une ambassade au concile qui avait été transféré par le pape de Trente à Bologne, il effectua son voyage de retour en France comme curateur d’Anne d’Este, la fille de Renée de France, duchesse de Ferrare, pour aller épouser le plus beau parti de France, François de Guise, le frère du cardinal.
En 1550, il fut choisi comme chancelier particulier par la duchesse de Berry, Marguerite de France, sœur du roi Henri II. A ce poste il eut l’occasion de se faire le protecteur des poètes de la Pléiade. Lui-même se distingua en poésie latine, par exemple par son poème sur le sacre de François II. Il entra au Conseil Privé du Roi en 1553 et fut nommé président de la Chambre des Comptes. Tout en luttant énergiquement contre la dilapidation des finances publiques, il travailla à une profonde réforme du Droit français. Il s’imposa par la solidité de son jugement, son intégrité sans faille et son éloquence.
A la mort du chancelier Olivier, l’année même de la conjuration d’Amboise, Michel de l’Hospital suivit Marguerite de France devenue duchesse de Savoie quand il fut appelé à la charge de chancelier de France. Le voici à pied d’œuvre, la disgrâce des Guise après la mort de François II ne changea rien à la situation, il devint l’agent principal de la politique de la reine mère dans le but d’éviter la guerre civile. Comme chef de la Justice, il se montra exigeant sur les compétences requises malgré le système de la vénalité des charges. Il écarta l’établissement de l’Inquisition en France et refusa de signer l’arrêt de mort contre le prince de Condé. Aux Etats généraux d’Orléans, en décembre 1560, il prononça la célèbre harangue : Otons ces mots diaboliques, noms de partis, factions, séditions : luthériens, huguenots, papistes, ne changeons le nom de chrétiens. En réalité, il pensait encore que la coexistence de deux religions était impossible dans un même Etat. Ce qu’il recherchait, partageant le réalisme de Catherine de Médicis, c’était une entente par la discussion. Il refusait de considérer les hérétiques comme séditieux envers le roi. Au colloque de Poissy, il plaida que « la conscience ne pouvait être forcée« . Après son échec à l’automne 1561, il élabora l’édit de janvier 1562, le premier du genre qui imposait l’autorité du droit sur les théologiens, accordant la liberté d’exercice du culte réformé.
En tant que deuxième personnage de l’Etat, le chancelier accompagna Catherine de Médicis et le jeune roi Charles IX dans le tour de France de plus de deux ans, ce qui ne l’empêcha pas de s’activer à la réforme du royaume, luttant pour limiter les prérogatives du Parlement, hostile à la tolérance civile. Il défendit le monopole législatif du roi en son Conseil, leur droit de remontrance n’en faisant pas des législateurs.
Au retour du Concile de Trente, le cardinal de Lorraine voulut entériner pour la France les décrets du Concile. Mais le chancelier s’y opposa vigoureusement comme portant atteinte aux privilèges de l’Eglise Gallicane et à la paix civile avec les réformés. Charles de Lorraine entra en fureur, l’accusant d’avoir provoqué la guerre civile en scellant l’édit de janvier 1562 ! Mais le point de vue du chancelier l’emporta au Conseil du Roi.
Cependant, les guerres de religion reprirent de plus belle avec la surprise de Meaux puis le repli des princes protestants sur La rochelle en 1568. Alors Michel de l’Hospital se retira dans sa « maison des champs » à Vignay, aujourd’hui sur la commune de Champmotteux dominant la vallée de l’Essonne à l’ouest de Fontainebleau. Le chancelier fut assimilé aux politiques dont il fut le théoricien, considéré par les catholiques intransigeants comme plus dangereux que les hérétiques !
Sa fille unique Madeleine avait épousé Michel Hurault, issu d’une famille de magistrats, qui lui donnera des petits enfants dont Michel Hurault de l’Hospital qui héritera de sa bibliothèque. Madeleine représenta son père aux noces d’Henri de Navarre et se trouva donc à Paris au moment de la Saint Barthelemy. Elle fut sauvée du massacre par Anne d’Este, la duchesse de Guise. L’épouse de Michel de l’Hospital et son gendre n’allaient plus à la messe… le chancelier se réfugia chez lui au château de Belesbat sur l’Essonne où il mourut huit mois après la saint Barthélemy. Il avait résilié sa charge de chancelier de France depuis un mois.
La duchesse de Savoie, Marguerite de France, et la duchesse de Ferrare Renée de France retirée à Montargis firent édifier sa chapelle funéraire dans la modeste église du village de Champmotteux. C’est un tombeau de style Renaissance surmonté de son gisant en robe de chancelier de France. Le tombeau connut le même sort que la nécropole royale de Saint-Denis à la Révolution et sa reconstitution actuelle date du règne de Louis Philippe.
En conclusion, je vous livre la traduction du latin de sa devise, elle est éloquente : « Si le monde se bouleversait, ses ruines me frapperaient, sans que j’en fusse épouvanté« .
par le pasteur Paul Lienhardt