Le cinquième centenaire de la naissance de Jean Goujon, une des figures majeures de la Renaissance française, mériterait une rétrospective officielle. Si ses sculptures sont saluées comme des chefs d’œuvres, plusieurs épisodes de sa vie sont restées mystérieuses.
Il est né en Normandie en 1510, mais son style révèle qu’il s’est probablement formé en Italie ou au contact d’artistes italiens. Ses premières œuvres connues sont les vantaux ornés de scènes bibliques des portes de l’église Saint-Maclou à Rouen, puis, vers 1540, il travaille au château d’Ecouen pour le connétable Anne de Montmorency.
Arrivé à Paris vers 1544, il exécute pour l’architecte Pierre Lescot les sculptures du jubé de Saint-Germain l’Auxerrois qui sera malheureusement démantelé au XVIIIe siècle, mais dont 5 magnifiques bas reliefs, 4 Evangélistes et la Déploration du Christ, sont conservés au musée du Louvre.
Encore avec Pierre Lescot, à l’angle d’une maison de la rue St-Denis, il sculpte la fontaine des Nymphes ornant les 3 arcades d’une loggia édifiée pour assister au cortège d’entrée d’Henri II dans Paris en 1549. Cette fontaine est déplacée au centre du terrain libéré par le cimetière des Innocents lors de sa fermeture en 1788, puis une 2ème fois au XXe siècle lors du réaménagement du quartier des Halles. Ainsi isolée, la fontaine des Innocents fut complétée d’une 4ème arcade par Augustin Pajou, et les sculptures du sous-bassement furent déposées au Louvre. Elles révèlent la parfaite maitrise de la composition en faible relief, occupant harmonieusement tout le cadre qui lui est dévolu. Les drapés fluides, les musculatures finement soulignées, donnent un sentiment de grâce qui lui a valu le terme de maniériste.
Jean Goujon est emprisonné quelques temps pour une cause demeurée inconnue, peut-être liée à sa foi protestante. Mais sitôt libéré il retravaille pour Henri II, toujours en complicité avec Pierre Lescot. Il réalise alors (entre 1549 et 1562), la décoration sculptée de l’aile du nouveau palais du Louvre considérée comme l’apogée du « beau XVIème siècle ». Les figures de Mercure, de l’Abondance, de génies soutenant les armes d’Henri II, les victoires et les allégories se réfèrent à une iconographie romaine pour glorifier le roi. Nommé sculpteur d’Henri II, Goujon réalise les cariatides soutenant la tribune des musiciens de la grande salle éponyme du Louvre. C’est là que fut célébré devant une nombreuse assistance, le prêche de Carême de 1534, à la demande de Marguerite de Navarre, par son aumônier Gérard Roussel, ami de Lefèvre d’Etaples. Le doctrinaire catholique Noël Béda laissa éclater sa fureur et François 1er, encore favorable aux humanistes bibliens, l’expulsa de Paris.
C’est dans cette même salle que, plus tard, Catherine de Bourbon, fit célébrer le culte en présence de son frère Henri IV qui avait officiellement abjuré…
Les quatre Saisons réalisées pour le président du Parlement de Paris, ornent toujours l’actuel Musée Carnavalet.
Jean Goujon exécuta aussi des médailles pour Catherine de Médicis. Elle le sauva peut-être car il n’est pas mort à la Saint-Barthelemy comme une légende erronée l’a colporté, mais, inquiété pour ses convictions religieuses, il a quitté Paris et s’est exilé à Bologne où il serait mort vers 1568 -ou même après 1572.
Un autre artiste protestant, Bernard Palissy, connut un destin tragique, mort à la Bastille, son corps jeté aux chiens. Il avait aussi travaillé pour Anne de Montmorency et Catherine de Médicis.
Ambroise Paré (1510-1590) qui fit faire des progrès fondamentaux à la chirurgie et à la médecine bénéficia de la confiance de Catherine de Médicis et des 4 derniers Valois, soignant Anne de Montmorency, Henri II et Coligny blessés. Ses convictions religieuses étaient connues, mais il était discret. Son second mariage et le baptême de ses enfants à l’Eglise permit à sa famille d’être préservée.
Ces trois protestants célèbres pour avoir mené leur art vers la perfection, nés tous trois en 1510, Jean Goujon, Bernard Palissy et Ambroise Paré incarnent 3 destins, 3 attitudes. En cette période dangereuse, quelle aurait été la nôtre ?
par Christiane Guttinger
(Émission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Étranger diffusée sur
France Culture, à 8h25, le 7 novembre 2010)