Le dimanche 21 mai 1536, les bourgeois de Genève convoqués solennellement au son des fanfares, se rassemblèrent sur la place publique et déclarèrent unanimement qu’à partir de ce jour, ils désiraient « vivre selon l’Évangile et la parole de Dieu ». Cette victoire de la foi est due en grande partie à l’activité d’un homme : Guillaume Farel.
Qui est cet homme qui en quelques années a réussi à extirper complètement la vieille foi catholique de cet ancien fief épiscopal, et y a introduit la religion réformée ?
Le grand écrivain autrichien Stephan Zweig en a dressé quatre siècle plus tard un portrait particulièrement peu amène dans son « Conscience contre violence » (1936). Guillaume Farel « petit, laid, la barbe rousse et les cheveux embroussaillés » qui « avec sa voix tonnante et la fureur démesurée de sa nature violente, possède l’art, du haut de la chaire, de précipiter le peuple dans un état d’excitation fiévreuse » est assimilé au « type du révolutionnaire destructeur », lointain ascendant des propagandistes nazis qui se sont alors emparés de l’Allemagne.
Une description un peu plus nuancée de ce grand Réformateur, dont la célébrité fut éclipsée par celle de Jean Calvin paraît nécessaire. Car avec ce dernier et Pierre Viret, Guillaume Farel forme selon le mot fameux de Martin Bucer, le « triumvirat » de la Réforme francophone. Si la production théorique de Farel est bien moindre que celle des deux autres, l’activité et l’influence de ce « pionnier de la Réforme » n’est pas à négliger. À Meaux, Bâle, Metz, Strasbourg, ou à Neuchâtel, Genève et Lausanne, il est celui qui ouvre la voie.
Né à Gap dans le Dauphiné en 1489 dans famille de notaires et de tabellions, son père Antoine Farel était notaire apostolique, il entame à Paris à partir de 1509 des études de Lettres à la Sorbonne. Il y rencontre notamment Lefèvre d’Étaples, disciple d’Érasme et dont l’œuvre initiera la Réforme en France. En 1517 il reçoit le titre de Maître ès arts et enseigne la Grammaire et la philosophie au Collège Cardinal Lemoine.
C’est à cette époque que Farel devient alors un fervent défenseur des idées nouvelles. Dès 1521, il rejoint le Groupe de Meaux, cercle réformiste, réuni autour de l’évêque Briçonnet. En 1522, il tente de réformer sa région natale, le Dauphiné, avant d’en être chassé et de s’en retourner à Meaux. En 1523, son protecteur, gêné par sa fougue évangélique, lui demande de quitter Meaux. Commence pour Farel une longue période de prédication itinérante.
Il se dirige d’abord vers la Guyenne qu’il tente également de réformer sans plus de succès avant de se réfugier à Bâle, où le Réformateur Johannes Oecolampade l’accueille. Cependant l’hostilité d’Erasme, qui s’oppose à la Réforme, le pousse à quitter la ville en 1524. Cette même année, il rédige le premier écrit de la Réforme francophone, Le Pater noster et le Credo en françoys.
Il obtient alors la permission de prêcher à Montbéliard avant de rejoindre un certain temps les deux réformateurs Strasbourgeois Fabricius Capiton et Martin Bucer.
Finalement, c’est à partir de Berne qu’en 1525 et 1526 il entreprend de gagner les baillages francophones du Canton à la Réforme. Sa mission itinérante l’entraîne à Aigle, Lausanne, Orbe, Grandson et Yverdon.
À la fin de 1529, il arrive dans le comté de Neuchâtel qu’il doit quitter au bout de quelques jours. Ce n’est que partie remise, puisqu’il y revient pendant l’été 1530 où son activisme permet, par un vote des bourgeois de faire passer la ville à la Réforme le 4 novembre, contre l’avis de sa suzeraine Jehanne de Hochberg.
Farel poursuit sa route et participe, en 1532, au synode de Chanforan, au Piémont, qui aboutit à la fusion des Vaudois avec la Réforme. Conscient comme Luther du pouvoir de l’imprimé, il installe en 1533 à Neuchâtel le premier imprimeur pleinement réformé, Pierre de Vingle.
De 1532 à 1536, il prêche à Genève où après un accueil hostile il fait adopter la Réforme le 21 mai 1536, grâce à l’appui d’une partie de la bourgeoisie inquiète des menées du duc de Savoie. Il scelle le destin de la ville lorsque deux mois après, il convainc un jeune réfugié français, de passage à Genève, d’y rester et de participer à la tâche d’évangélisation… Un certain Jean Calvin. Celui-ci démontre rapidement son talent pour l’organisation ecclésiastique de la ville. Ce qui n’empêche pas les deux hommes de se trouver rapidement en conflit avec le gouvernement à propos de l’autorité respective de l’Eglise et de l’Etat et avec la population qui supporte mal les deux prédicateurs. Aux Pâques de 1538, ils sont bannis de la ville. Calvin se dirige vers Strasbourg mais Guillaume Farel lui se rend à Neuchâtel, où il devient premier pasteur à la place de François Marcourt, mettant un terme ainsi à sa période de prédication itinérante. S’il continue de voyager souvent en Allemagne, en Suisse et en France, l’essentiel de son activité est consacrée à partir de cette époque à doter l’Église de Neuchâtel d’une structure réformée dans la ligne de la théologie de Calvin. Cependant en 1558, son mariage avec une jeune réfugiée française de 18 ans provoque une rupture avec Calvin qui refusera de bénir l’union.
Il meurt durant l’hiver 1565 des suites d’un voyage vers Metz où les fidèles avaient sollicité son intervention.
(Emission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Etranger, diffusée sur France-Culture à 8h25, le dimanche 1er mars 2009)
par Pierre-Valdo Debû
Lettre N°43
Bibliographie :
- Gottfried Hammann, « Encyclopédie du protestantisme », PUF.
- Francis Higman, Dictionnaire historique de la Suisse.
Summary : Guillaume Farel
by par Pierre-Valdo Debû
In May 1536, the Geneva bourgeois were called by horns and trumpets to claim unanimously that from that day onwards they wished “to live according to the Gospel and God’s speech”. This victory of faith was mostly due to one man, Guillaume Farel.
Though his fame was overshadowed by Jean Calvin’s, Guillaume Farel was one of the” triumvirate of the French Reformation” with Pierre Viret and Calvin. Farel wrote less than the two others, but his activities and his influence were important. In Meaux, Basel, Metz, Strasburg, or in Neuchatel, Geneva or Lausanne, he was opening a new path.
Born in Gap in the Dauphiné region in 1489, he belonged to a family of lawyers. He read literature in Paris at La Sorbonne. There he met Lefèvre d’Etaples who was one of Erasmus’s disciples. Farel taught Grammar and Philosophy in Paris. He became a passionate defender of the new ideas, and in 1521 joined the Group of Meaux, a reformist circle who met with Bishop Briçonnet. In 1522, Farel attempted to reform his native region, the Dauphiné, before he was cast away and went back to Meaux. In 1523, his evangelical ardour embarrassed his patron who asked him to leave, so Farel began travelling and preaching. Unsuccessful in his attempt of reforming the Guyenne, he left for Basel, but Erasmus’s hostility, who was opposed to the Reformation, obliged him to go away in 1524. He wrote the first written deed of the French-speaking Reformation the same year : the “Pater Noster” and the “Credo” in old French.
He went to preach in Montbeliard before he joined the two Reformers of Strasburg, Fabricius Capiton and Martin Bucer.
Finally he endeavoured to reform the French-speaking cantons. At the end of 1529, he arrived near Neuchâtel ; he succeeded to convert all citizens to the Reformed faith. Later he participated in the synod of Chanforan, in the Piedmont, which merged the Vaudois with the Reformation movement. From then on, Farel stayed mostly in Geneva, where he had the Reformation adopted in 1536, while the Duke of Savoie was threatening the city. A few days later he convinced a young French refugee, Jean Calvin, to stay and help him. After a disagreement with the city officials and the population, they were banned. Calvin went to Strasburg, and Guillaume Farel went to Neuchâtel, where he remained. In 1558 he married a young French refugee aged 18 and broke with Calvin who refused to bless his marriage. He died in 1565.